Les blessures toujours ouvertes des enfants du Goulag
Histoire

Les blessures toujours ouvertes des enfants du Goulag

Par Philippe Oswald - Publié le 22/10/2019
Justice ! Ils réclament que la justice leur soit rendue, enfin ! À eux-mêmes, à leurs parents, à leurs grands-parents… Ce mardi 22 octobre, des enfants de déportés au Goulag se présentent devant la Cour constitutionnelle russe, l’une des plus hautes juridictions du pays qui siège à Saint-Petersbourg, pour demander réparation des crimes et spoliations commis par le régime soviétique depuis… Depuis quand, au fait ? Depuis les grandes purges de Staline, il y a 80 ans ? En réalité depuis les premiers jours de la prise du pouvoir par les soviets avec Lénine, en 1917, car le régime communiste n’a pu s’imposer et subsister que par la terreur la plus impitoyable, la plus ubuesque, et la plus longue de l’Histoire.

Bien sûr, il y a eu aussi le totalitarisme nazi dont l’horreur n’avait rien à envier au totalitarisme soviétique. Mais celui-ci fut le modèle dont s’inspira Hitler et ses sbires pour mettre au pas toute la population allemande puis tous les pays conquis et exterminer les Juifs. Si le chef d’œuvre est la durée, l’Histoire a tranché : 12 ans pour l’« Empire de 1000 ans » que devait être le Troisième Reich (1933-1945), près de 74 ans pour la Russie soviétique (dont 69 ans pour l’URSS : 1922-1991). Vaincue en 1945, l’Allemagne a été purgée du nazisme, notamment grâce au procès de Nuremberg.

La tragédie de la Russie est d’avoir été exempte de repentance en faisant partie du camp des vainqueurs et en glissant sans trouble majeur de la dictature soviétique au régime actuel. Celui-ci, après avoir paru encourager les victimes ou leurs familles à réclamer justice, a changé d’attitude, préférant mettre la poussière sous le tapis pour ne pas réveiller les fantômes du passé et déclencher une cascade d’indemnisations. Alors que la loi du 18 octobre 1991 prévoit des compensations pour les anciens prisonniers du Goulag ou pour leurs enfants, notamment en leur permettant d’obtenir un appartement dans leur ville d’origine, seules quelques centaines auraient obtenu gain de cause selon Mémorial, l’organisation de défense des droits de l’homme qui soutient cette lutte. Les restrictions à la loi de 1991 introduites en 2005, qui abandonnent la décision aux régions, rendent les indemnisations quasiment impossibles ou ridiculement faibles : 75 roubles (1 euro) par mois de détention, 4000 roubles (57 euros) pour un appartement spolié, 10.000 roubles (142 euros) pour une maison…

C’est que le nombre des victimes de l’état soviétique passe l’imagination : 20 millions rien que pour celles qui ont été englouties par l’Archipel du Goulag, monstrueux réseau de camps de servitude et d’extermination dont Alexandre Soljenitsyne a révélé au monde entier l’ampleur et la cruauté. L’immense majorité d’entre elles n’avaient rien commis qui puisse, de près ou de loin, mériter un tel sort, mais la plupart y ont perdu la vie après des mois, des années ou des décennies de souffrances ininterrompues. Des millions d’autres ont été torturées et fusillées sans connaître les travaux forcés du Goulag. Sans compter les millions de citoyens soviétiques qui furent à la fois victimes et bourreaux, contraints de dénoncer leurs proches, parfois leurs propres parents, dans l’espoir souvent illusoire de préserver leur vie ou leur liberté. Il n’y a donc pas qu’un blocage pécuniaire mais aussi psychologique dans l’attitude de l’actuel pouvoir russe : une partie des archives d'Etat reste classée « secret-défense » et l’opinion commune est qu'il est délétère de remuer ce passé. Poutine lui-même, après avoir présidé à l’inauguration du Mémorial aux victimes des représailles politiques (Moscou, 30 octobre 2017), s’efforce d’escamoter la rupture entre la Russie d’hier et celle d’aujourd’hui pour exalter la grandeur nationale… Il semble en passe de réussir ce tour de passe-passe puisque près de la moitié (47%) des jeunes russes de 18 à 24 ans n’auraient jamais entendu parler de la répression soviétique, selon un sondage de l’Institut VCIOM publié l’an dernier (octobre 2018). Cette stratégie de l’oubli est-elle pour autant un bon calcul ? Les ossements qui resurgissent périodiquement de charniers enfouis au bord de routes ou en pleine ville, sous des immeubles à l’occasion de chantiers, ou des monticules qui entourent les anciens camps, sont comme autant de signaux d’outre-tombe adressés aux vivants : seule la vérité libérera la Russie du poids que lui a légué « l’Empire du mensonge ».

Cette enquête du Figaro (ci-dessous) présente un saisissant florilège de témoignages des familles qui réclament aujourd’hui justice.
La sélection
Les blessures toujours ouvertes des enfants du Goulag
En Russie, le dernier combat des enfants du Goulag
Le Figaro
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