Le vert et le noir
Islam

Le vert et le noir

Par Louis Daufresne - Publié le 11/12/2019
Après Éric Zemmour et Alain Finkielkraut, la liste des infréquentables s’enrichirait-elle d’un nouveau membre de la « communauté » et pas des moindres : Bernard-Henri Lévy ? Sa chemise blanche généreusement ouverte, sa chevelure de héros stendhalien et son hostilité au fascisme tricolore popularisée dans L’idéologie française (Grasset, 1981) aurait dû vacciner le philosophe contre la droitisation rampante, cette défaite de la pensée qui – à l’image des sirènes d’Homère – exile au goulag intellectuel ceux qui ont le malheur de céder à ses charmes. Entendons-nous bien : BHL n’est pas plus ou moins à droite qu’hier. Comme au planétarium du Palais de la découverte, on reste assis ; ce sont les étoiles qui bougent. Et le soleil noir de l’islamisme grossit à vue d’œil. Mahomet – ou l’exploitation qu’on en fait – clive ainsi de plus en plus des sociétés occidentales qui pataugent en plein gloubi-boulga religieux.

Drainée par les flux migratoires, la menace se mondialise et les indignations de BHL perdent leur caractère local. Ce qui se passe à Qaraqosh ou à Jos, l’opinion le perçoit comme une réalité plus familière. Après les chrétiens d’Orient, le philosophe lance un SOS pour ceux du Nigeria, où ils « sont persécutés, torturés, massacrés par les Foulanis, ces bergers peuls gagnés à l’islamisme radical ». Son reportage paru le 5 décembre dans les colonnes de Paris-Match relate des faits horribles. Levant le niqab sur des tueries que les radars médiatiques ne détectent pas, il se voit accuser de devenir « le ventriloque de la droite chrétienne ». C’est lui qui l’écrit dans son dernier bloc-notes du Point intitulé Nigeria : réponse d’un écrivain-reporteur à des experts. Comme on le voit, le point ne concerne pas que les retraites. Quand il s’agit d’une mise au point, on peut y voir une attaque. BHL livre bataille à un aréopage de « spécialistes » qui, dans une tribune du Monde Afrique, « pinaillent » sur les « approximations » de son reportage. Pour BHL, ces experts ont des oreilles mais ne veulent pas entendre. Le philosophe conteste que « des milliers de morts et les centaines de milliers de déplacés qui endeuillent la Middle Belt du Nigeria [soient] dus à des guerres tribales indéchiffrables, ou à des conflits immémoriaux entre éleveurs et agriculteurs, ou au réchauffement climatique qui fait transhumer les troupeaux vers le sud ». À ses yeux, ces africanistes ne veulent surtout pas voir que le risque de génocide relève d’un « affrontement politique, idéologique et religieux ». Il y a un terrible relent de racisme à considérer que les Africains se battraient uniquement pour des pâturages et des points d’eau. Et si c’était le cas, ce qui se comprendrait aisément, cela n’expliquerait pas l’islamisation à marche forcée. Il y a trente ans, les famines au Sahel en appelaient déjà à la générosité occidentale mais l'ombre de Boko Haram et consorts ne se projetait pas sur des zones immenses. La grille de lecture marxisante ignore le fait religieux au point d’en faire l’habillage de luttes économiques. Ce déterminisme social peut tout autant être récusé que l’ethnicisation systématique des conflits. L'esprit de système fait des ravages. Et si le prosélytisme était en soi un très puissant levier de l’action humaine ? Au Nigeria, on assiste à la volonté d’éradiquer la présence chrétienne pour « faire tremper le Coran dans le golfe de Guinée », comme le dit un islamiste rencontré par BHL. Que cette graine de violence pousse sur le fumier d’une pénurie qui ne cesse de s’aggraver, c'est un fait : la faim progresse là-bas et, selon le Réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA) réuni récemment à Paris, les trois pays les plus touchés (en phase de « crise », au stade 3 sur une échelle de 5) sont justement le Nigeria (4 millions de personnes), le Niger (1,5 million) et le Burkina Faso (1,2 million). Si le fanatisme nourrit aisément des ventres vides, les idéologies qui remplissent les cœurs et les têtes viennent bien de quelque part.

Bernard-Henri Lévy n’est pas un grand connaisseur du Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique. Mais il ne prétend pas l'être. C’est une ONG chrétienne qui prit contact avec lui pour l’alerter sur les atrocités en cours. Qu’ils soient évangéliques ou catholiques, les chrétiens sont accusés par le nord musulman d’avoir adopté la religion des Blancs. Islamisme, racisme et nationalisme sont ainsi compatibles. Les signataires de la tribune s’insurgent contre la vision binaire de BHL : « Penser les éleveurs fulanis comme de dangereux nomades radicalisés qui gâchent la vie de paisibles sédentaires chrétiens est faux », écrivent-ils. Peut-être. BHL est un peu victime de son image de dilettante en colère. Habitué à butiner sur des causes pour en faire son miel, ses contradictions le fragilisent. Si le Sahel famélique se couvre du vert de l’islam, ce n’est pas sans lien avec la chute de Kadhafi dont il porte une part de responsabilité. Mais ce n'est pas une raison pour étouffer son cri d'alarme et moquer cet altruisme un peu désordonné qui le rend attachant.
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« La notion de “génocide” est un mot-clef dans la politique nigériane, employé à tort et à travers »
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