Le prix Nobel de Physique pour le
Sciences

Le prix Nobel de Physique pour le "Galilée malgré lui"

Par Jean Staune - Publié le 06/10/2022
Pour Le Monde, « la question n’était pas de savoir si le Français Alain Aspect, 75 ans, directeur de recherche émérite au CNRS et professeur à l’École polytechnique, aurait le prix Nobel de physique, mais quand et avec qui. L’Académie suédoise a donc enfin tranché, mardi 4 octobre ».

Pourquoi une telle certitude ? Pour des millions de personnes passionnées par la physique quantique à travers le monde, il ne ferait aucun doute que le Français, pourtant peu connu du grand public, aurait un jour le Prix Nobel. L’expérience qu’il a effectuée il y a 40 ans constitue de la « métaphysique expérimentale », selon les termes du grand physicien américain Abner Shimony : elle porte sur la nature même de la réalité et a permis de trancher le débat entre deux des plus grands esprits du XXe siècle, Albert Einstein et Niels Bohr. Dans notre univers, rien ne peut aller plus vite que la vitesse de la lumière. Cela n’a même aucun sens de parler d’une vitesse supraluminique (supérieure à celle de la lumière) car la structure même de notre espace-temps l’interdit, de même qu’il serait absurde de parler d’un lieu plus au Nord que le pôle Nord. Pourtant, en 1935, Einstein montrera que si l’on faisait confiance à la physique quantique (dont il se méfiait profondément après en avoir été l’un des initiateurs grâce à la découverte de l’effet photoélectrique qui permet aujourd’hui le fonctionnement de nos panneaux solaires), deux particules qui ont interagi ensemble restent liées, dans certaines conditions, au-delà de l’espace, du temps, de l’énergie et de la matière. Un peu comme deux jumeaux dont on dit que l’un ressent ce qui arrive à l’autre, tout ce que l’on fait à une particule a immédiatement des répercussions sur l’autre. Or « immédiatement » signifie, dans certaines conditions, « bien plus rapidement » que la vitesse de la lumière. « Aucune vision un tant soit peu raisonnable de la réalité ne saurait permettre l’existence d’un phénomène pareil », disait Einstein, qui l’appelait, pour s’en moquer, « de la télépathie entre électrons ».

C’est ce phénomène dont Alain Aspect démontra l’existence… il y a 40 ans. Il a mis en place une expérience extrêmement sophistiquée, où la décision d’effectuer des mesures sur un couple de particules ayant eu une « vie commune » (elles proviennent d’un même atome) est prise au tout dernier moment, de façon à ce que les particules ne puissent pas « communiquer entre elles » ce qui leur arrive, même à la vitesse de la lumière. Pourtant, l’expérience montre bien que tout ce que l’on fait à l’une se répercute instantanément sur l’autre. Cela implique qu'il existe un niveau de réalité situé hors du temps, de l'espace, de la matière et même de l’énergie, et donc différent du nôtre qui, lui, est immergé dans le temps, l'espace, la matière et l'énergie. Voilà pourquoi cette expérience est si importante : elle démontre scientifiquement que l'on ne peut réduire le réel véritable au réel observé ni même au réel éventuellement observable un jour !

Alain Aspect est un nouveau Galilée. De même que Galilée a modifié à jamais la place de l’homme dans l’Univers en démontrant que nous n’habitions pas au centre de celui-ci, il nous montre que nous n’habitons même pas dans le « vrai univers » ! En effet, comme l’un des concepteurs de cette expérience le physicien et philosophe français Bernard d’Espagnat, à l’époque directeur du département de physique de l’université d’Orsay, l’avait écrit : « La physique quantique en général, et cette expérience en particulier nous démontre que le réel véritable est voilé ».

Dans ce monde quantique, où le temps et l’espace n’existent pas, il est normal qu’une porte soit à la fois ouverte et fermée, ou qu’un chat soit à la fois mort et vivant, pour reprendre le paradoxe du « chat de Schrödinger », énoncé par un des fondateurs de la physique quantique pour démontrer l’étrangeté de celle-ci. Des physiciens quantiques, loin d’être spiritualistes, comme Ortoli et Pharabod ont pu écrire : « La physique quantique porte en elle les germes d’une immense révolution culturelle qui, pour le moment, n’a été réalisée qu’à l’intérieur d’un petit cénacle de grands scientifiques. » Ils sont allés jusqu'à dire que celle-ci « a porté un coup fatal au matérialisme classique ».

Mais voilà, qu’alors que les « parrains » de cette expérience comme Olivier Costa de Beauregard et Bernard d’Espagnat ont longuement développé les implications philosophiques et métaphysiques de son résultat, il faut imaginer Alain Aspect comme un Galilée malgré lui, qui aurait bien voulu démontrer que la Terre était au centre du monde, et qui aurait bâti avec brio une expérience cruciale… qui aurait démontré l’inverse.

Voilà pourquoi il a été depuis quarante ans d’une très grande discrétion concernant l’expérience qui a, comme la théorie de son prédécesseur, le potentiel de changer à jamais notre vision du monde, mais cela, malgré la lumière brutalement projetée sur lui aujourd’hui, prendra encore probablement plusieurs décennies.
La sélection
Le prix Nobel de Physique pour le
Le Nobel de physique récompense le Français Alain Aspect, pionnier de la seconde révolution quantique
Le Monde
S'abonner gratuitement
Ajoutez votre commentaire
Valider
Pourquoi s'abonner à LSDJ ?

Vous êtes submergé d'informations ? Pas forcément utiles ? Pas le temps de tout suivre ?

Nous vous proposons une sélection pour aller plus loin, pour gagner du temps, pour ne rien rater.

Sélectionner et synthétiser sont les seules réponses adaptées ! Stabilo
Je m'abonne gratuitement
LES DERNIÈRES SÉLECTIONS