Le grand naufrage du bac
Culture

Le grand naufrage du bac

Par Philippe Oswald - Publié le 17/06/2021
Le bac va-t-il sombrer corps et biens comme certains bateaux qui chavirent à cause de leur surcharge en passagers ? Une chose est sûre : sa démocratisation à outrance, depuis des décennies, a étouffé la « méritocratie ». Si l’expression « passe ton bac d’abord ! » a encore un sens puisque ce premier diplôme universitaire reste requis pour accéder aux études supérieures, il a perdu son statut de « sésame » : il n’est plus qu’un certificat de fin d’études secondaires, nécessaire mais loin d’être suffisant pour entreprendre avec succès des études supérieures.

L’an dernier et cette année, le coronavirus a dévoilé cruellement la nudité du roi « bachot ». Du fait des mesures anti-Covid, son obtention repose essentiellement sur le contrôle continu, lui-même hautement fragilisé par les cours en « distanciel » et par l’indulgence non pas simplement recommandée mais imposée aux examinateurs par le rectorat.

À sa création par Napoléon, il y a plus de deux siècles, le bac était réservé à une minuscule élite. Ou plutôt, il était chargé de la faire surgir en écrémant quelques dizaines de candidats (31 bacheliers en 1809, année inaugurale, à l’issue d’un examen exclusivement oral). Puis la bourgeoisie du XIXe siècle l’a fait évoluer à son profit comme instrument de promotion et aussi comme marqueur face aux classes populaires qui n’accédaient pas, sauf exception, aux humanités classiques au programme. À la fin du siècle, les épreuves écrites, notamment la dissertation de philosophie et la composition de français, ont creusé l’écart.

L’inversement de la tendance s’est dessiné au cours du XXe siècle. D’abord timide (2 à 3% d’une classe d’âge), la démocratisation du bac s’est emballée avec l’application du rapport Langevin-Wallon (deux communistes) de 1945. 30 ans plus tard, sous Giscard, la loi Haby instaure le collège unique. Enfin, sous Mitterrand, c’est l’objectif de « 80% d’une génération au niveau bac » qu’affiche le ministre de l’Éducation Nationale Jean-Pierre Chevènement (1985).

Pendant ce temps, le pédagogisme à la sauce Meirieu avait entrepris son travail de « désinstruction » dans l’enseignement primaire et secondaire. D’année en année, le niveau des candidats au bac descendait inexorablement, jusqu’à la situation actuelle qui plonge dans le désespoir les correcteurs sommés de répondre aux statistiques préfabriquées par les autorités du « mammouth ». Avec les consignes du rectorat, les « commissions d’harmonisation » des notes et les délibérations des jurys académiques, on n’est pas loin des « plans » et des « normes » soviétiques à remplir coûte que coûte.

Le bac reste un « rite de passage » mais ce passage obligé n’est plus un passage protégé vers l’Université. Il est descendu au niveau, voire en-dessous du niveau de ce qu’était le Certificat d’études des années 50-60. Alors que 22% des jeunes majeurs en France ont de lourdes difficultés de lecture (statistiques de la journée « défense et citoyenneté » de 2020), aucun ministre de l’Éducation nationale n’oserait soumettre les bacheliers actuels aux dictées que devaient affronter les candidats au « certif » d’il y a 60 ans. Et le résultat ne serait sans doute guère meilleur en histoire-géographie ou en calcul (dans la dernière enquête Timss, la France se classait dernière en Europe pour le niveau en mathématiques des élèves à la fin de la classe de quatrième). Néanmoins, attendons-nous à des proclamations triomphales lors de la publication des résultats de la cuvée 2021, concoctée à 82% sur la base du contrôle continu, la meilleure note pendant l’année ou à l’examen étant retenue pour ce bac super allégé : les seules épreuves nationales maintenues cette année sont la philosophie et les vingt minutes de grand oral…

Le bac, aujourd’hui, c’est bien mieux qu’à la Française des jeux : une chance au tirage, une chance au grattage… mais près de 100% de gagnants ! En 2020 (100% de contrôle continu) près de 96% des candidats avaient décroché le bac, soit 8 points de plus qu’en 2019 ! La filière générale avait même frôlé le 100% de réussite (98,4%). Quant aux mentions, elles avaient été généreusement décernées à 63,5% des lauréats… Tout cela a-t-il encore un sens ? Pour le professeur de philosophie et député européen François-Xavier Bellamy (tribune du Figaro,16 juin), le bac est devenu « un mensonge d’État », « une immense fiction collective ». Dans un entretien à Opinion internationale (en lien ci-dessous), son collègue René Chiche (professeur de philosophie, membre du Conseil supérieur de l’éducation) laisse éclater sa colère et s’en explique…
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Les raisons de la désinstruction : entretien avec René Chiche, un prof en colère
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