Le déclin de l’agriculture française n’est pas une fatalité
Économie

Le déclin de l’agriculture française n’est pas une fatalité

Par Philippe Oswald - Publié le 01/10/2020
« Le labourage et le pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée et les vraies mines et trésors du Pérou » disait Sully à Henri IV. Autrement dit, faute de disposer comme l’Espagne de l’or et de l’argent des Amériques, le Royaume de France pouvait compter sur son agriculture, grâce à un territoire d’une variété et d’une richesse exceptionnelles.

« Pas de France forte sans agriculture forte », déclare quatre siècles après Sully le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie dans une interview à l’Opinion. Or, si les « fondamentaux » de l’agriculture française subsistent, ils sont menacés faute d’avoir été…cultivés. La France n’est plus qu’au sixième rang des puissances agricoles mondiales. En cause, une industrialisation vieillissante et un productivisme peu respectueux de l’environnement et du consommateur au cours des précédentes décennies, puis une concurrence internationale féroce et souvent déloyale, scellée par des accords internationaux, y compris intra-européens, défavorables (les accords du Gatt ont impliqué une ouverture du marché intérieur européen). Faute de s’être protégée d’importations agricoles massives mais aussi d’avoir choisi clairement entre production d’excellence (agriculture raisonnée ou bio) et produits à bas coût, la France perd sur les deux tableaux. Le comble, pour le pays longtemps chouchou de la Politique agricole commune (PAC), c’est qu’il souffre aujourd’hui de la concurrence européenne plus que des importations transcontinentales !

Un signal d’alarme du déclin agricole français au sein de l’UE a retenti l’an dernier : « Pour la première fois depuis les années 1970, la balance commerciale agricole de la France a été déficitaire vis-à-vis de ses voisins européens » explique Thierry Pouch, chef économiste de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA). « De peu (84 millions d’euros), mais c’est un coup de tonnerre pour un pays qui a été le fer de lance de l’Europe agricole. (…) Notre puissance agricole ne tient plus qu’au reste du monde. C’est de là que viennent les 8 milliards d’excédents. »

Il y a déjà plusieurs années que la France importe davantage de fruits et de légumes qu’elle n’en produit. Nouvelle puissance agricole, la Pologne nous inonde de ses pommes et de ses volailles (la France, premier producteur de volailles jusqu’en 1996, importe aujourd’hui 40% de sa consommation !) Autre problème : alors que la France produit largement assez d’animaux vifs (bovins, porcs) pour sa consommation et continue à en exporter, elle ne parvient pas à faire face à la concurrence européenne des plats préparés de façon industrielle, particulièrement rentables. Résultat : les jeunes bovins franchissent nos frontières pour être engraissés (en Italie, notamment) et les porcs pour être abattus et transformés…avant de revenir dans nos assiettes. En cause, le retard de la France dans la modernisation de son agriculture et le coût de la main-d’œuvre.

Ici comme ailleurs, le problème français c’est l’entre-deux, pour ne pas dire le « en même temps ». La France n’a cessé de perdre en compétitivité en s’imposant à elle-même, sous la pression d’écologistes idéologues, des « normes » toujours plus draconiennes. Paradoxalement, elle a pris, au cours des précédentes décennies, un retard dans l’agriculture biologique qu’elle peine à rattraper aujourd’hui (avec 8% de surfaces agricoles biologiques, elle se situe dans la moyenne européenne, peu devant l’Allemagne mais derrière l’Autriche, l’Espagne et l’Italie). Mais s’agissant de la production industrielle, elle est battue par les Allemands, les Belges, les Néerlandais, les Danois, qui n’ont pas eu ses scrupules pour installer de gigantesques « fermes usines » produisant des produits bon marché. Nos voisins d’Outre-Rhin trouvent dans les pays d’Europe centrale, non seulement des consommateurs, mais aussi une main d’œuvre sous-payée.

Reste heureusement les vins et spiritueux (affectés provisoirement espérons-le, par les taxes américaines), les produits laitiers, le blé, le sucre dont la France reste le premier producteur européen alors que la demande mondiale ne cesse d’augmenter. Au grand dam des écologistes, le ministre de l’agriculture a déposé le 3 septembre un projet de loi pour permettre à la filière betterave de déroger (jusqu’en 2023) à l’interdiction des néonicotinoïdes (les abeilles ne butinant pas les betteraves) pour faire face aux attaques du puceron noir. En pleine crise sanitaire, climatique et économique, alors que même les « riches » céréaliers sont affectés par des moissons en chute de 25%, est-ce bien le moment de multiplier normes et interdits en enfonçant davantage notre filière agricole sous prétexte de « sauver la planète » ? La question semble avoir échappé aux Français tirés au sort (!) pour participer, les uns à la « Convention citoyenne sur le climat », les autres à l’« Assemblée citoyenne pour l’agriculture » dont le gouvernement s’efforce à présent de déminer les propositions.
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