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Le "conservatisme", nouvelle Internationale

Par Louis Daufresne - Publié le 10/02/2020
La semaine dernière se tint à Rome un sommet populiste européen. Malgré le Brexit, il y portait la marque de l'anglo-américain sous le titre « National Conservatism : God, Honor, Country : President Ronald Reagan, Pope Jean-Paul II and the Freedom of Nations ». Comme le socialisme un siècle auparavant, le populisme aspire à devenir une sorte de nouvelle Internationale. L’Amérique et ses alliés jouent un rôle prépondérant dans cette entreprise, à commencer par Newt Gingrich, un temps pressenti comme colistier de Donald trump, le Bow Group, le plus vieux think tank conservateur britannique, et Yoram Hazony, président de l’Institut Herzl à Jérusalem et de la Edmund Burke Foundation. Dans son discours (également en anglais !), Marion Maréchal commença d'ailleurs par remercier ce théoricien israélien « de [nous] avoir réunis aujourd’hui sous la bannière du conservatisme national ». « Nous », c’est notamment le Premier ministre hongrois Viktor Orbán ou Giorgia Meloni, clone transalpin de Marion Maréchal (avec dix ans de plus). Seule absence remarquée, celle du secrétaire fédéral de la Ligue, Matteo Salvini. La double référence à Ronald Reagan et à Jean-Paul II n'est pas anodine : elle vise à provoquer le pape François sur ses terres, à tout le moins à l’interpeller. En Europe, on mesure peu à quel point les milieux conservateurs US exècrent le représentant de l’Église catholique, jugé insensible aux angoisses identitaires et myope devant la pénétration islamiste. Hasard de l’actualité, les deux phénomènes se conjuguaient au même moment en Thuringe, où Thomas Kemmerich, élu du parti libéral FDP, devenait le premier chef de gouvernement élu depuis 1945 avec les voix d'un parti classé à l'extrême droite, l’AfD. Angela Merkel jugea cette alliance locale « impardonnable » et l'homme dut démissionner à peine 24 heures après son élection comme dirigeant de ce Land de l'ex-RDA. Difficile d’oublier qu’en 1930, c’est en Thuringe que des nazis entrèrent pour la première fois dans un gouvernement régional et que trois ans plus tard, Adolf Hitler devenait chancelier… Sur les réseaux sociaux, la poignée de main entre Thomas Kemmerich et le chef de l'AfD, Björn Höcke, côtoie celle entre Hitler et le vieux président du Reich Paul von Hindenburg.

Du colloque de Rome à l’élection en Thuringe, il y a plus qu’une similitude. La question migratoire devient si aiguë qu’elle commence à faire sauter les verrous très forts imposés par la culture mémorielle ouest-allemande. Depuis sa naissance il y a 7 ans, et contrairement à la situation autrichienne, toutes les formations politiques, y compris la CDU, excluent de coopérer avec l’AfD, parti anti-migrants et anti-élites, principale force d'opposition au Bundestag avec 89 députés. L’AfD n’est rien d’autre que l’enfant que Merkel eut sur le tard, l’enfant rejeté de sa politique généreuse – qu’elle lègue à une Allemagne désorientée et affaiblie. Figurez-vous que, comme l’écrivait le Times of Israël dès septembre 2018, « apparemment, parmi certains Juifs, les craintes nourries face au nazisme à l’AfD ont été éclipsées par la peur de l’antisémitisme au sein de plus d’un million de réfugiés musulmans arrivés depuis 2015 en Allemagne ». 75 ans après la libération d’Auschwitz, qui eût imaginé pareille « éclipse » ? De même, qui eût imaginé un sommet populiste co-organisé par une figure israélienne ?

Un autre verrou demeure, et de taille : le pape François. Le conservatisme essaie d’enfoncer un coin entre la sociologie catholique et le Vatican, entre une opinion craintive et une institution fragilisée, notamment par les affaires de mœurs. Sous Reagan, l’Église romaine apparaissait comme l’aumônerie du camp du bien face à l’ogre soviétique et quatre présidents américains s‘étaient rendus aux obsèques de Karol Wojtyła ! Mais, une fois le Mur tombé, on oublia vite que Jean-Paul II avait aussi mis en garde contre les errements du paradigme consumériste.

Le pape François se retrouve un peu dans la situation d’Angela Merkel : il est « travaillé » par une opinion que son discours pro-migrants ne cesse de déboussoler. Les droites dites « populistes », « identitaires » ou « conservatrices » savent dédoubler la vision chrétienne dans leur registre : nostalgie du paradis perdu ou d’un âge d’or, Sauveur et homme providentiel, vision eschatologique et mythe de la décadence, etc. Les mots peuvent inviter à des connivences voire à des basculements, et l’on comprend comment, selon Marion Maréchal, « la tradition conservatrice française adhère au catholicisme mais peut être hostile à l’Église ». En appeler au christianisme pour unir l’Europe et en exclure les indésirables ne peut évidemment pas convenir au chef de l’Église universelle, sauf à souscrire à un malentendu. Mais en ne faisant pas de l’avenir de l’Europe sa priorité, le pape risque de rendre une opinion encore christianisée toujours plus étrangère à l’Église et à ses messages.
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Marion Maréchal, nouvelle égérie des nationalistes européens
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