L'Arabie Saoudite et l'Iran ont engagé de discrètes tractations
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L'Arabie Saoudite et l'Iran ont engagé de discrètes tractations

Par Ludovic Lavaucelle - Publié le 05/05/2021
« Surtout ne nous en mêlons pas ! » exhorte en substance Doug Bandow, ancien conseiller spécial du Président Ronald Reagan. Encouragées par le gouvernement irakien, des discussions se sont déroulées dans la plus grande discrétion entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, les deux grands ennemis au sein du monde islamique. Alors que l’Arabie Saoudite a nié l’existence de tout échange, l’Iran a confirmé auprès de Reuters qu’une première réunion avait bien eu lieu.

Sous l’administration Trump, les lignes avaient bougé au Moyen Orient avec l’alliance entre Israéliens et Saoudiens. Les Américains avaient réuni leurs deux alliés, a priori irréconciliables, pour mieux isoler l’Iran. Ce coup de poker présentait des risques importants, selon Doug Bandow (voir article en lien). L’Iran, cerné de toutes parts, s’est rapproché de la Chine et de la Russie. Et les forces les plus conservatrices de la République Islamique ont resserré leur emprise sur la conduite des affaires. Par ailleurs, l’attitude américaine avait été interprétée par l’Arabie Saoudite et par Israël comme un blanc-seing pour accentuer leurs politiques anti-iranienne et anti-chiite.

Les États-Unis devraient dorénavant s’abstenir de prendre parti dans cette guerre inexpiable entre sunnites et chiites mais plutôt encourager la normalisation des relations, plaide Doug Bandow. Selon lui, il est temps de tourner la page de l’alliance forgée en 1945 avec la dynastie des Saoud car le monde a changé. Pourtant, L’Arabie Saoudite reste dans la liste des dix régimes les plus répressifs au monde… Pourquoi la première puissance mondiale protègerait-elle encore ce régime dictatorial ? Le Pentagone avait considéré son allié du Golfe comme un rempart contre l’Iran. Mais une puissante alliance régionale est maintenant en place. Les émirats du Golfe et Israël en première ligne, l’Egypte et la Turquie en seconde, forment une coalition solide pour contrer les actions agressives iraniennes.

Les objectifs de Riyad sont de plus en plus éloignés de ceux de Washington. Jusqu’à l’administration Trump, les gouvernements américains successifs ont offert un soutien inconditionnel à la monarchie saoudienne. Le prince héritier Ben Salman, nouvel homme fort à Riyad, a profité de cette carte blanche pour consolider son pouvoir, et son pays est devenu le principal fomenteur de troubles dans la région. Les Saoudiens sont intervenus au Yémen, menant une guerre meurtrière et interminable dans l’un des pays les plus pauvres au monde. Ils ont convoqué et séquestré dans un hôtel le Premier Ministre libanais Hariri (novembre 2017), soutenu les plus extrémistes des djihadistes en Syrie, favorisé un coup d’état en Egypte, déployé des troupes au Bahreïn contre les chiites majoritaires dans ce micro-état, imposé un blocus de près de cinq ans contre le Qatar. Le pouvoir saoudien, se pensant intouchable, est allé jusqu’à organiser l’odieux assassinat de l’opposant Jamal Khashoggi le 2 octobre 2018 dans le consulat d’Istanbul. Récemment, Riyad s’est allié à Israël afin d’inciter Washington à des actions militaires pour stopper le programme nucléaire iranien. Quel a été le bénéfice pour Oncle Sam, mis à part de profitables ventes d’armes ?

La paix au Yémen est une priorité. Les Saoudiens, malgré leur armement perfectionné, se retrouvent enlisés dans une guerre meurtrière. Humiliation suprême, les « rebelles » Houthi sont parvenus à toucher des cibles sur le territoire saoudien avec les drones fournis par l’Iran. Le sort de toute une population livrée à elle-même est suspendu à un accord qui devrait engager Américains et Iraniens à ne plus armer leurs alliés.

Le Liban a aussi été mentionné lors des échanges. Les deux rivaux partagent la responsabilité d’une situation sociale et économique catastrophique. Ni Riyad ni Téhéran n’ont intérêt à laisser la situation dégénérer.

Bahreïn reste un point de friction important. La population chiite majoritaire est opprimée par une caste régnante sunnite soutenue par Riyad. Si les Saoudiens poussaient leur allié à mener des réformes, les Iraniens encourageraient l’opposition à dialoguer.

L’Irak est un autre champ de bataille et son gouvernement parraine ces contacts diplomatiques. Les Irakiens veulent réduire l’influence iranienne et ils ont désespérément besoin d’argent. Les Iraniens pourraient accepter de réduire l’activisme des milices chiites et les Saoudiens offriraient d’investir plus massivement.

Le pétrole saoudien n’est plus d’importance vitale pour les Américains, depuis qu’ils sont devenus exportateurs d’énergie. Les Saoudiens savent que le nouveau gouvernement américain est favorable à la reprise du dialogue avec l’Iran concernant leur programme nucléaire. Il est temps pour Riyad et Téhéran de renouer des relations diplomatiques rompues depuis janvier 2016…
La sélection
L'Arabie Saoudite et l'Iran ont engagé de discrètes tractations
Doug Bandow : Iran and Saudi Arabia are finally talking
The American Conservative
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