L’accord sur une politique fiscale mondiale du G7, progrès significatif ou chimère ?
Économie

L’accord sur une politique fiscale mondiale du G7, progrès significatif ou chimère ?

Par Ludovic Lavaucelle - Publié le 08/06/2021
Cela fait des années que les pays riches cherchent à harmoniser les règles fiscales pour augmenter leurs recettes et répondre au nouveau défi posé par les multinationales dans un monde digitalisé. Le 5 juin 2021 marque un tournant puisque, sous la pression des conséquences économiques du COVID-19, les sept pays les plus développés se sont enfin mis d’accord. Il s’agit en effet d’un changement majeur dans la manière de taxer les grandes sociétés, prenant acte de leurs activités globales et de la part prédominante prise par les géants du numérique. Jusqu’à présent, le modèle en place est de taxer les sociétés là où elles produisent. L’accord prévoit de le faire là où elles opèrent. Plus précisément, les groupes générant plus de 10% de profitabilité (on parle d’une centaine de sociétés dont les GAFAM comme Google ou Amazon) verront 20% de leurs profits au-dessus du seuil de 10% soumis à l’impôt dans les pays où ils sont actifs.

On a entendu Bruno Le Maire, le Ministre de l’Économie et des Finances français, claironner que cette avancée était historique et marquait un succès pour la France. Kate Andrews pour le magazine britannique The Spectator (voir l’article en lien ci-dessous) propose une analyse nuancée de cette annonce. Comme expliqué plus haut, on parle d’une part seulement (20%) des profits générés au-dessus d’un seuil fixe (10%). Il n’empêche… C’est un pas considérable et qui, au-delà des pourcentages, met en cohérence la fiscalité et la réalité du monde économique d’aujourd’hui. Le sujet est sensible pour plusieurs membres de l’UE (comme la France) qui ne récoltent que si peu (voire rien du tout) venant de géants numériques qui paient leurs taxes en Irlande où la plupart ont mis leurs adresses fiscales régionales. On peut aussi saluer un succès majeur en termes de coopération internationale. Les grands groupes visés sont américains pour la plupart et les États-Unis ont maintenu une stratégie protectionniste jusqu’à l’arrivée de Joe Biden au pouvoir. Les nouvelles autorités américaines acceptent donc que leurs multinationales les plus profitables rognent sur leurs bénéfices à l’étranger…

Mais ce revirement n’est pas intervenu sans contrepartie. Et cet autre volet du compromis va limiter la souveraineté des États puisqu’il impose un taux d’imposition minimal de 15% sur les sociétés. La motivation américaine est facile à comprendre : leur taux d’imposition devrait être sensiblement augmenté cette année de 21% à 28% pour la tranche la plus haute. Il s’agit de contrôler la concurrence, alors que la compétitivité de la fiscalité US va automatiquement chuter. Certes, l’impact à court terme est limité puisque très peu de pays développés présentent une taxation inférieure à 15% (à l’exception notable de l’Irlande et ses 12,5%). Les pays « émergents » ont bien plus à perdre d’une telle mesure. On peut y voir aussi une tentative d’imposer un « État Providence » global, vœu cher aux promoteurs du « Great Reset ». D’ailleurs, savoir que les idéologues à la tête de Facebook clament leur enthousiasme à l’idée de payer plus d’impôts devrait légitimement provoquer de la méfiance. Quelles conséquences à long-terme d’une telle mesure ? L’allègement de la pression fiscale aux États-Unis sous la présidence Trump a démontré son efficacité pour faire baisser le chômage. Une moindre profitabilité pourrait avoir un impact sur l’emploi et les conditions de travail, bien plus que sur les principaux actionnaires… Réduire l’influence des paradis fiscaux est souhaitable. À l’opposé, imposer des limites à la concurrence pourrait inciter les plus mauvais élèves en termes d’efficacité fiscale (par ex. la France qui affiche un taux d’imposition pouvant atteindre 31%) à retarder encore des réformes nécessaires pour réduire la dépense publique…

Au-delà des effets d’annonces, qu’attendre concrètement de cet accord de principe entre pays du G7 ? Ce sera au menu de la réunion des pays du G20 le mois prochain en Italie. L’Irlande, qui se sent légitimement visée, ne veut pas entendre parler d’une augmentation de sa fiscalité. Sous la pression de la crise économique liée au financement de la crise sanitaire, irons-nous jusqu’à la menace de sanctions imposées aux contrevenants ? Même au sein du G7, l’alternance politique apparait comme le talon d’Achille de ce projet. Il n’y qu’à observer la courbe en « yo-yo » de la fiscalité américaine d’Obama à Biden en passant par Trump. En quelques années, le taux-plafond est passé de 35% à 21% pour revenir à 28%...

Les pays du G7 se sont enfin mis d’accord pour changer la logique fiscale appliquée aux multinationales les plus riches. On les taxera donc partout où elles opèrent. C’est un progrès majeur qui va encadrer l’optimisation fiscale. Quant à l’autre volet de l’accord, le taux-plancher d’imposition, on peut douter de son efficacité à long-terme, comme de son bien-fondé.
La sélection
L’accord sur une politique fiscale mondiale du G7, progrès significatif ou chimère ?
Kate Andrews : The hidden costs of the G7 tax deal
The Spectator
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