La vérité sur Notre-Dame
Société

La vérité sur Notre-Dame

Par Louis Daufresne - Publié le 15/04/2020
Accidentel ou criminel ? Un an après l’incendie de la cathédrale, on ne dispose pas d’éléments confirmant ou infirmant l’une ou l’autre thèse. Les enquêteurs privilégient l’accident mais n’en fournissent pas la cause et, à l’inverse, nul ne peut conclure à un acte intentionnel. De sorte que l’on s’interroge toujours sur l’origine de cet événement traumatique. BFM TV vend l’une de ses émissions sous le titre : « Qui a mis le feu à Notre-Dame de Paris ? » Formulée ainsi, la question postule la malveillance. « Qu’est-ce qui a mis le feu à Notre-Dame de Paris ? » serait plus neutre. BFM cède-t-il au complotisme – qui voit dans la flèche en fusion un « 11-Septembre français », comme le dit un élu politique ? Le doute fait bon ménage avec l’audience : il permet de ne pas clore l’actualité, ce qui est le principe même de l’info continue.

L’incendie du 15 avril 2019 suscita d’innombrables commentaires à caractère conspirationniste. Un an plus tard, un sondage réalisé par l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès (Jérôme Fourquet) et Conspiracy Watch (Rudy Reichstadt) observe que plus d’un Français sur trois (36 %) « affirment leurs doutes quant à la piste accidentelle de l’incendie, pourtant privilégiée par les enquêteurs ». Ceux qui souscrivent à la version officielle sont certes majoritaires mais leur part ne s’élève qu’à 54 %. À l’autre bout, 7 % seulement considèrent qu’« il s’agit d’un incendie criminel à propos duquel le gouvernement cherche à dissimuler la vérité ». Trois éléments s’ajoutent :

- plus on vieillit, plus on est légaliste. Les plus de 65 ans sont ainsi 61 % à souscrire à la version officielle contre 45 % seulement chez les moins de 35 ans. Cette tendance se retrouve dans une kyrielle de sondages. Elle en dit long sur le lien entre légalisme, immobilisme et vieillissement. C’est un angle mort de la démocratie de ne pas songer aux équilibres internes d’une nation, à tout ce qui prédispose à la cristallisation des opinions. A la fin, mécaniquement, le système se fossilise ;

- les diplômés de l’enseignement supérieur et les CSP+ sont sur-représentés chez ceux qui adhèrent à la piste accidentelle. En fait, plus on a de pouvoir ou plus on est dans le pouvoir, moins on est complotiste. Cette marque rabaisse votre statut social, de la même manière qu’être fan de foot est perçu comme un signe de bêtise. Le complotisme est le prêt-à-penser du pauvre ; celui du riche s’appelle le conformisme ;

- les catholiques, pratiquants ou non, ne se distinguent pas de la majorité : ils souscrivent à la thèse de l’accident avec 53 % et 52 %. Ils voient la cathédrale comme n’importe quel autre Français, ne se sentant ni plus ni moins visés.

Ce sondage amène deux réflexions :

1. Sur les dubitationnistes. Entre les 7 % de complotistes nichés surtout au RN et à LFI et les 36 % qui « affirment des doutes », il y a une part importante (29 %) qui est mal à l’aise avec la version officielle. Le politologue Pierre-André Taguieff, spécialiste du sujet, parle des « dubitationnistes ». Cette catégorie est-elle poreuse au complotisme ? Prouve-t-elle qu’il gagne du terrain ? Cet aspect n’est pas analysé mais avec la gestion houleuse de la pandémie et l’affaire Raoult par-dessus, les partisans du complot n'ont qu'à se baisser pour en ramasser ;

2. Sur le statut de la vérité : l’expérience nazie vaccina les Européens contre toute parole descendante. Depuis 68, chacun bricole sa vérité, démarche promue par le mercantilisme. Cette vérité-là est bien mal nommée. C’est une façon de récuser la vérité pour jouir de la vie sans en mesurer l'enjeu ni prendre ses responsabilités. La vérité unit aux autres, alors que chacun sa vérité isole. Quel rapport avec l’incendie ? C’est de souligner ce paradoxe : alors qu’on renonce à la vérité, jugée inaccessible, inutile voire nuisible, on la désire à tout prix quand survient une tragédie collective. En fait, on ne peut se passer de la vérité. Trouver du sens rend solidaire. Le complotisme est un enfant non désiré de 68. On n’accepte pas que la vérité soit cachée ou qu'il n'y en ait pas. C’est ce que disent les torrents d'émotion vraie qui jaillirent de toutes parts quand la flèche s’écroula dans les flammes. Tous les World Trade Center n’auraient jamais produit ce sursaut de l’être, comme si la vérité du monument blessé, la beauté qui émane de lui, faisait écho à celle qui gît en nous, parfois très profond, sous l’épaisseur de l’indifférence, de l'inculture et de l’égoïsme. Sinon, pourquoi pleurer ?  
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