La France, ses 365 fromages, ses 10 500 lois et ses 400 000 normes
Politique

La France, ses 365 fromages, ses 10 500 lois et ses 400 000 normes

Par Philippe Oswald - Publié le 06/02/2020
« Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 246 variétés de fromage ? » aurait lancé un jour le général de Gaulle. Aujourd’hui, nos fromages seraient plutôt 324 voire 365. Quant à gouverner le pays, nos politiques s’y cassent les dents mais croient avoir résolu le problème : faute de gouverner ce Gulliver éruptif qu’est la nation, ils l’ont ligoté avec 10.500 lois, 125.000 décrets, 400.000 normes. Qui dit mieux ? D’année en année, de mois en mois, ce maillage se resserre, paralysant le pays et lui coûtant « un pognon de dingue » comme dirait le président de la République.

C’est ce fléau français que dénoncent deux journalistes de Valeurs Actuelles, Marie de Greef-Madelin, et Frédéric Paya, dans « Normes, réglementations… Mais laissez-nous vivre ! » qui vient de paraître (éditions Plon). Rien de nouveau sous le soleil puisqu’au XVIe siècle, Montaigne se plaignait déjà de la manie législative française. Mais elle s’exacerbe de nos jours sous le double effet de l’empilage des juridictions (européennes, nationales, locales) et de la dictature de l’émotion (ex : « En 2016, une petite fille a été mordue par un chien, les députés ont entrepris de rédiger une loi… qui existait déjà » relève Frédéric Paya).

La République française « exemplaire » veut laver plus blanc que blanc. Sauf quand il s’agit de bioéthique, où toute transgression est baptisée « avancée sociétale », on pousse à l’extrême le principe de précaution. Celui-ci affecte surtout le domaine agro-alimentaire et désespère nos agriculteurs. Si la France a perdu sa première place agricole en Europe, c’est notamment à cause de la multiplication des tracasseries qu’ils subissent. Exemple, les OGM : bien qu’autorisés par l’Union européenne, les OGM sont interdits en France depuis 2009. Bien. L’an dernier, des cultivateurs d’Eure-et-Loir ont semé par mégarde du maïs OGM à cause d’une erreur du fournisseur de semences. Ils ont dû naturellement arracher les plants …mais n’ont pas été autorisés à nourrir leurs bêtes avec leur production… (ce qu’elles font pourtant légalement en consommant des produits OGM importés). Autre exemple, la cerise : les producteurs français n’ont plus le droit d’utiliser un produit phytosanitaire luttant contre la mouche Suzukii alors que des cerises ainsi traitées à l’étranger sont distribuées en France … ce qui a tué la production. On pourrait multiplier les exemples. Résultat : aujourd’hui, un fruit et un légume sur deux consommés en France sont importés ! Et jusqu’à 78% des tomates, 70% des courgettes, 70% des concombres…

La vanité du législateur s’en mêle : chaque ministre veut attacher son nom à une loi. L’écologiste Cécile Duflot, ministre du Logement et de l'Egalité des territoires entre 2012 et 2014, a déployé à ce poste un zèle qui restera dans les annales : la loi Duflot ou loi Alure du 24 mars 2014 qui visait « à favoriser l'accès au logement, à réglementer les locations, et à promouvoir la construction par une réforme du droit de l'urbanisme » a bloqué le marché en encadrant les loyers et en obligeant les promoteurs à construire 25% de logements sociaux. Et puis, il y a l’alternance. Un président défait ce que son prédécesseur a juste eu le temps de mettre en œuvre. Exemple, les heures de travail défiscalisées : « Sarkozy les crée, Hollande les supprime et Macron les rétablit avec la crise des gilets jaunes ».

Avec plus de 11.000 articles, le Code du travail est un vrai casse-tête pour les chefs d’entreprises. Pourtant sa lecture peut être divertissante. Exemples tirés du chapitre « Femmes enceintes, venant d'accoucher ou allaitant » : l’article 224-4 prévoit qu’à partir de 100 salariés, les entreprises sont tenues d'avoir une salle spéciale pour accueillir les femmes souhaitant allaiter leur bébé. Très bien ! Mais cette salle doit avoir trois mètres de haut (!?), être capable d’accueillir douze berceaux, et un médecin doit l’inspecter au moins une fois par semaine. Au même chapitre, l’article 152-8-2 précise : « Il est interdit d’employer une femme enceinte ou allaitant aux travaux au marteau piqueur. » L’article R4541-9 vaut aussi le détour : « Lorsque le recours à la manutention manuelle est inévitable (…), un travailleur ne peut être admis à porter d’une façon habituelle des charges supérieures à 55 kilogrammes qu’à condition d’y avoir été reconnu apte par le médecin du travail, sans que ces charges puissent être supérieures à 105 kilogrammes. [Ah bon ? 104,99 kilos, ça passe ?!] Toutefois, les femmes ne sont pas autorisées à porter des charges supérieures à 25 kilogrammes ou à transporter des charges à l’aide d’une brouette supérieures à 40 kilogrammes, brouette comprise. » Sait-on jamais ce qui pourrait passer par la tête d’un entrepreneur !

Au bout du compte, le coût de ce prurit réglementaire est énorme. Nos 400.000 normes nous coûteraient 3 point de PIB soit soixante milliards d’euros par an. Mais nos législateurs n’entendent pas s’arrêter en si bon chemin : ils ont déposé 460 projets de loi l’an dernier et déjà 130 depuis le début de l’année…
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