Julian Assange ou le problème de la transparence et de la raison d'Etat dans nos sociétés

Julian Assange s'est posé comme une figure emblématique du débat sur la transparence dans nos sociétés modernes. Il se définit comme un crypto-anarchiste dénonçant une dommageable asymétrie de niveau d'information entre les citoyens et les gouvernements, qui est selon lui à l'origine de la plupart des guerres d'aujourd'hui. A partir de ce constat, deux actions lui semblent nécessaires pour rééquilibrer les choses : la protection des données personnelles et la diffusion de données des gouvernements.

Dans cette optique, Assange a créé Wikileaks en 2006 avec un objectif clair : fournir une plateforme aux lanceurs d'alerte qui souhaitent révéler des scandales de corruption, d'espionnage et d'autres violations des droits humains perpétrés par les États. En 2010, Wikileaks a fait sensation en publiant plus de 750 000 documents confidentiels liés aux activités diplomatiques et militaires des États-Unis, en Irak et en Afghanistan notamment. La publication de centaines de milliers de câbles diplomatiques américains a offert un aperçu parfois surprenant de la politique étrangère américaine. Et la célèbre vidéo Collateral Murder qui donne à voir le meurtre de sang-froid de deux journalistes et de civils non armés, en Irak, par des soldats américains, a buzzé dans le monde entier et est devenue le symbole de ces révélations.

Ses actions ont immédiatement suscité la colère du gouvernement américain, qui le poursuit depuis de manière implacable. Craignant son extradition vers les États-Unis, Assange a cherché refuge à l'ambassade de l'Équateur à Londres le 19 juin 2012. Là, il a continué à révéler des informations, y compris des courriels compromettants pour Hillary Clinton lors de la campagne présidentielle de 2016. En avril 2019, à la faveur d'un changement de pouvoir en Equateur, l'asile politique d'Assange a pris fin après sept ans de confinement dans l'ambassade. Il a alors été arrêté par les autorités britanniques et emprisonné à Belmarsh, une prison de haute sécurité où il subit actuellement un régime de détention extrêmement strict.

Son procès devant la cour britannique a débuté en février 2020, et il s'est transformé en une longue et complexe bataille judiciaire. Les charges retenues contre lui en Grande Bretagne sont la violation de sa liberté provisoire en 2012, lorsqu'il est allé se réfugier dans l'ambassade d'Equateur. Les Etats-Unis ont demandé son extradition, qui signerait une condamnation probable à perpétuité, car il est accusé, entre autres, de piratage informatique, et il pourrait y être condamné à 175 ans de prison.

Alors que Julian Assange se réfugie derrière la liberté de la presse, les Etats-Unis veulent le sanctionner au nom de la raison d'Etat. Dans notre temps où les réseaux sociaux appellent à une culture de la transparence, trouver un équilibre entre transparence totale et culture du secret au nom de la protection des intérêts vitaux, est assurément un défi complexe mais Julian Assange a au moins eu le mérite de susciter des débats passionnés sur cette question. Il a par ailleurs ouvert la voie à de nouvelles plateformes telles que Bellingcat, et à de nouveaux lanceurs d'alertes, popularisant le concept d'enquête open source. Il a enfin réussi à sensibiliser l'opinion publique internationale aux comportements parfois scandaleux de leurs États.

Assange paie finalement très cher son combat, n'ayant trouvé aucun soutien politique de poids dans la communauté internationale qui s'est globalement détournée de son problème. Dans la sélection que nous proposons, Cédric Villani dit son indignation en parlant d'un manque de lucidité sur cette affaire, des droits fondamentaux que l'on ne défend pas et de nos engagements qui font défaut.