Islamophobie, un concept contesté et contestable
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Islamophobie, un concept contesté et contestable

Par Louis Daufresne - Publié le 15/11/2019
Dans une précédente LSDJ (n°699), nous relevions que certains suffixes comme -gène ou -cide poussent comme de mauvaises herbes dans le jardin à la française de notre langue. En y répandant l’angoisse, ces épithètes frappent les esprits, ce qui est leur raison d’être dans une arène où les mots se font la guerre pour exister.

Il en va de même de toutes les « phobies ».

C’est une sorte de lierre qui grimpe anarchiquement sur le bel édifice de la raison, en abîmant les pierres de nos arguments jusqu’à les desceller. Accolée à n’importe quelle réalité, la phobie réussit un tour de force : immuniser celui qui l’utilise et annihiler celui qu’elle vise. C’est une arme de destruction massive de toute pensée critique. Comme dans un missile, il y a plusieurs étages : hystérisation, culpabilisation, moralisation, victimisation. La marche contre l’islamophobie organisée dimanche dernier à Paris en fournit un énième prototype :

Hystérisation « Il y a en ce moment des mots qu'on utilise et qui n'apaisent pas le débat. Qui au contraire, l'accentuent, le stigmatisent, l'aggravent et celui du débat sur l'islamophobie aujourd'hui contribue à cela. » C’est le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner qui le dit et il ne passe pas pour un linguiste averti. La phobie appartient au registre médical. C’est une peur irrationnelle. Il peut paraître saugrenu de manifester contre une pathologie. Quand une personne est victime de phobie, on ne la blâme pas ; on la soigne. Le message est le suivant : si on critique l’islam, ça se soigne. La névrose rend l’échange impossible. D’ailleurs, s’il s’agissait réellement de phobie, celle-ci serait-elle infondée ? La répétition d’actes terroristes fabrique une peur panique que chacun peut comprendre, quoi qu’il pense de l’islam.

Culpabilisation : « Ce ne sont pas les musulmans qui posent problème mais les islamophobes qui ont la haine », « nous sommes en danger, pas dangereux ». Cette rhétorique consiste à renverser la charge de la preuve. Mais son effet est déplorable sur les auteurs même : plus je répète « c’est lui », plus c’est moi que j’accuse. Vieux souvenirs de cour de récréation. En 2003, l'essayiste Caroline Fourest affirma que le mot islamophobie fut « pour la première fois utilisé en 1979, par les mollahs iraniens qui souhaitaient faire passer les femmes refusant de porter le voile pour de "mauvaises musulmanes". » Autrement dit, il s’agit d’un procédé d’intimidation. Curieusement, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme donne une tout autre acception du terme. Pour la CCDH, l'islamophobie est une « attitude d'hostilité systématique envers les musulmans, les personnes perçues comme telles et/ou envers l'islam ». Voilà un nœud à dénouer. Sous l’aspect anodin d’une énumération, cette définition englobe l’objet (l’islam) et les sujets (les musulmans). Cette confusion rend l’échange impossible. On peut très bien être hostile à l’islam et vouloir dialoguer avec les musulmans. C’est même la raison d’être du dialogue que de rapprocher des vues opposées. De même, les politiques s’efforcent-ils toujours de distinguer les « bons » des « mauvais » musulmans, afin que les croyants suivistes se dissocient de l’avant-garde violente qui veut les manipuler. La marche contre l’islamophobie se lit d’abord comme un message envoyé par certains groupes comme les Frères musulmans, à la masse de leurs coreligionnaires vivant en France.

Moralisation : Une vision obtuse du bien et du mal rend aussi l’échange impossible. Le mal regroupe les consciences malades qu’il faut bannir ou guérir. La morale dévorant ainsi la raison, celle-ci pervertit la politique et justifie l’extrémisme. On tue toujours au nom du bien. Ainsi s’enclenche l’engrenage révolutionnaire. Outre les arrière-pensées électoralistes, c’est ce qui explique la présence d’organisations d’extrême-gauche dimanche dernier. Celles-ci cherchent à éloigner les musulmans de toute analyse critique. Les professionnels du Grand soir montent ainsi le feu sous la marmite des ressentis.

Victimisation : les marcheurs de la gare du nord se plaignent de la zemmourisation des esprits. On peut comprendre cet agacement. La plupart des musulmans en ont assez d’être pointés du doigt. Il est vrai que les media ne tapent que sur les faibles et de quelque côté qu’ils se tournent, les musulmans ne maîtrisent pas leur image et c’est bien là le problème : « Quand on agit, on nous reproche de faire de l’islam politique. Quand on se met en retrait, on nous qualifie de communautaristes. Où est notre place ? » relevait un manifestant le mois dernier place de la République. Ne jamais cocher la bonne case fait de soi une victime du système. Certes. Mais la case victimaire sert aussi à en tirer parti au maximum. Si on est victime, on a tous les droits. Commode et imparable.

En réalité, l’islamophobie rend un très mauvais service aux musulmans. Ce dont ils auraient besoin, c’est d’une marche contre l’islamisme. Car une pareille manifestation contribue à les enfermer et c’est ce que recherchent les extrémistes, lesquelles veulent garder sous la main une population de plus en plus nombreuse et malheureuse pour la conscientiser. Par la « tchadorisation », ils s’évertuent à la discipliner, afin de marquer leur territoire. Ce genre de marche radicalise l’opposition des non-musulmans, en faisant monter le RN, ce qui aggrave l’islamophobie et ainsi de suite. La spirale n’est pas près de s’arrêter.

Les musulmans d’Occident font face à l’apprentissage de la citoyenneté. Mais la chose est compliquée : intégré à la « laïcité », cet apprentissage fait partie du « service après-vente » du christianisme. Distinguer le sanctuaire de son intimité de la sphère publique n’est pas naturel, comme le souligne Tom Holland dans son dernier opus Comment les chrétiens ont changé le monde (Saint-Simon, 2019).

Avant de récriminer, on souhaiterait que tout musulman, comme nous tous, s’examine sur l’image qu’il renvoie, sur les textes et les pratiques auxquels il se réfère. Partout dans le monde, le phénomène islamique se heurte à ce que ses propres lois ne régulent pas. Quatre ans après le Bataclan, c'est aux musulmans de dire ce que Ben Laden et successeurs représentent pour eux. L’islamophobie ne s’attarde pas là-dessus, alors qu’il s’agit du cœur du sujet, de la compatibilité de l’islam avec la violence. L’islamophobie fait aussi l’impasse sur la manière dont le voile est perçu dans notre société, comme s’il n’avait pas de sens politique. Invoquer la liberté de s’habiller est une esquive. On ne peut pas se contenter d'afficher des pancartes provocatrices du style : « Femme, musulmane et voilée, si je vous dérange, je vous invite à quitter mon pays ».
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