Cyr, c'est une révolution !
Société

Cyr, c'est une révolution !

Par Louis Daufresne - Publié le 09/09/2020
La grande muette, on s’en doute, parle peu. Aussi quand l’armée s’exprime, c’est pour dire quelque chose. L’actualité s’y prête. Deux soldats viennent (encore) de perdre la vie au Mali. 45 militaires sont morts au combat dans le cadre des opérations Serval (2013) et Barkhane (depuis août 2014). Numériquement, c’est infime. Humainement, c’est une « tragédie ». Le mot fut prononcé par le ministre des Armées lui-même, et pas n’importe où. Florence Parly était à Guer (Morbihan) sur le campus des écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan. Le saint des saints pour tout jeune de 20 ans mu par la vocation des armes. Pour Florence Parly donc, « c'est une tragédie et en même temps il faut poursuivre ce combat. Ces deux garçons, ces deux militaires (...) n'ont pas donné leur vie pour rien. Ils ont combattu pour la France et ont mené un combat contre le terrorisme qui ne s'arrête pas ». On pourrait commenter bien des termes de cette phrase – qui n’est pas très habile. Si l’on éprouve le besoin de dire que quelqu’un n’est pas mort pour rien, c’est que le sens de son sacrifice n’est pas évident, qu’il est nécessaire de l’expliquer.

Mais passons.

Ce qui importe, ce sont moins les propos du ministre que le bouleversement dont elle venait prendre la mesure au cours de cette visite : Saint-Cyr entend réformer son cursus en profondeur. Car l’armée de terre constate chez ses futurs cadres « un déficit d’épaisseur humaine ». Bigre. L’expression est du général Patrick Collet, commandant des écoles de Saint-Cyr. Nos capitaines seraient-ils mauvais ? Pas du tout. Au contraire, ajoute-t-il, « la France a sans doute les officiers parmi les meilleurs du monde ». Mais les prochaines guerres seront « plus dures ». Là, le général n’en dit pas plus et c’est dommage. Un indice toutefois : « Nous sommes très satisfaits [de nos officiers] sur nos théâtres d’opérations », souligne-t-il. Mais si tel est le cas, alors pourquoi révolutionner leur formation ? Cela signifie-t-il que les prochains conflits n’auront pas lieu dans le désert africain mais à l’intérieur même de nos sociétés, comme s’y emploie l’avant-garde du terrorisme ? Quoi qu’il en soit, Saint-Cyr veut retrouver de la « singularité militaire », dit le général Collet. C’est-à-dire plus « d’épaisseur humaine ». Quand Saint-Cyr s’aligna sur le système licence-master-doctorat, certains craignirent de voir s’effacer son caractère propre. Ce point est intéressant car il concerne la société tout entière : on ne peut pas se contenter de former des techniciens munis de diplômes. La dimension humaine est prépondérante, dans le travail comme dans les batailles. « Je n’ai pas besoin de rajouter des heures de tir, mais d’élever les esprits », explique-t-il encore.

Élever les esprits ? Saint-Cyr promouvra « une lecture critique des événements » et « une recherche du débat », avec plus d’heures de philosophie, d’éthique et d’histoire militaire. L’institution maintiendra « un relatif inconfort quotidien », « une vision critique de la technologie » et sera attentive aux « ressorts de la psychologie ». Les écoles de commerce et de journalisme, pour ne citer qu’elles, s’aviseront-elles de donner à leurs étudiants une épaisseur humaine ? Rien ne les y oblige. C’est la différence avec l’armée, où, normalement, ce qui est cosmétique et idéologique n’a pas sa place. L’armée s’adapte car son efficacité opérationnelle et la vie de ses soldats en dépendent. Pour recruter, elle doit analyser l’évolution des mœurs, trouver un discours pour attirer la jeunesse. Depuis la suspension du service national, elle ne fait plus partie du paysage et cela ne cesse de l’obséder. « La société française s’est éloignée du tragique et de l’histoire », relève le général Collet. Ce n’est pas nouveau mais l’armée, à son rythme, en prend acte. Donner une épaisseur humaine peut séduire des jeunes en quête d’idéal et d’aventure.

Cette réforme souligne aussi les insuffisances de l’élitisme à la française, axé sur le bachotage de concours académiques. L’autorité implique le terrain : les jeunes cyrards, dès le grade de sergent, encadreront des militaires du rang dont ils devront se faire respecter. Ce faisant, malgré elle, la grande muette interroge le politique. Favorise-t-il l’esprit de défense et de responsabilité, ainsi que la cohésion de la nation qu’il est censé servir ?
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Saint-Cyr veut renforcer « l’épaisseur humaine » des officiers
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