« Cancelling », cette censure venue d’Outre-Atlantique
Société

« Cancelling », cette censure venue d’Outre-Atlantique

Par Ludovic Lavaucelle - Publié le 28/11/2020
Le 24 novembre, le site de Vice a relayé le combat d’employés de l’éditeur Penguin Random House Canada pour empêcher la publication du prochain livre du Docteur Jordan Peterson « Beyond Order, 12 more rules for life » (« Au-delà de l’ordre, 12 règles de plus pour une vie ») prévue en mars 2021. La direction de Penguin a dû tenir une réunion générale pour échanger avec les employés, dont près de 70 avaient envoyé des courriels de plainte. Vice rapporte que plusieurs employés pleuraient de détresse à l’idée de cette prochaine édition… Motif : l’auteur serait un activiste transphobe… Une telle accusation dans le monde anglo-saxon aujourd’hui vaut une sentence « d’annulation » (« cancelling ») : elle vous envoie dans un goulag virtuel qui est une sorte de mort sociale et économique.

Jordan Peterson est un docteur en psychologie canadien de 58 ans qui, en plus d’avoir été un praticien, a aussi enseigné dans des universités prestigieuses (Harvard, Cambridge, Toronto). Il est l’auteur d’un énorme succès : « 12 rules for life, an antidote to chaos » (« 12 règles pour une vie, un antidote au chaos ») sorti en 2018 et lu par plus de 5 millions de personnes à travers le monde. L’idée centrale du livre était de proposer des règles de vie pour affronter la souffrance inhérente à toute existence et trouver sa voie dans un monde fait d’ordre et de chaos. Il s’inspire de ses expériences cliniques mais aussi de nombreuses références historiques, mythologiques et bibliques, et insiste sur le devoir de responsabilité. Sa chaîne Youtube, sur laquelle on peut trouver ses cours, a d’ailleurs connu un succès phénoménal. C’est donc une œuvre qu’on peut qualifier de conservatrice dans ses fondements mais sans rapports apparents avec l’accusation des employés de l’éditeur. Pourquoi donc un tel déchaînement d’émotions, allant jusqu’aux larmes sachant qu’à priori aucun d’entre eux n’avait lu son précédent livre, qui ne pouvait être taxé de « transphobe »…

Pour mieux comprendre, il faut revenir à l’événement qui a mis Jordan Peterson sous les projecteurs médiatiques canadiens dès 2016. En mai de cette année-là, le gouvernement de Justin Trudeau a introduit le projet de loi fédérale C-16, devenu loi en juin 2017, qui interdit la discrimination envers les personnes transgenres. Concrètement, cette loi impose aux professeurs d’appeler un ou une élève qui le demande par un pronom « neutre » (en anglais, la solution proposée est d’utiliser le pronom pluriel « they/them »). Jordan Peterson a refusé strictement d’appliquer cette loi en estimant que c’était une atteinte grave à la liberté d’expression et renversait un pilier majeur de notre civilisation. Il déclarait notamment : « L’identité n’est pas et ne sera jamais quelque chose que les gens peuvent déterminer eux-mêmes, parce que votre identité correspond à ce que vous exprimez selon un ensemble de règles que la plupart des gens apprennent, et je vais être précis, entre 2 et 4 ans. »

Il a fait face alors à une attaque massive des syndicats étudiants LGBT (certains perturbant les conférences par exemple), de nombreux médias, ce qui lui a coûté une bourse à l’université de Cambridge. On l’aura compris, il est estampillé « ultra-conservateur ». C’est donc à cause de cette étiquette que près de 70 employés de l’éditeur cherchent aujourd’hui à empêcher la parution de ce nouvel ouvrage. Ils ne voient aucun problème à encourager la censure, les autodafés en place publique, qui devraient rappeler de sinistres souvenirs… On atteint des sommets de non-sens quand on apprend qu’un autre éditeur (néo-zélandais celui-là) avait retiré le livre de Peterson sous la même pression, tout en continuant à éditer « Mein Kampf ».

La direction de Penguin a réagi intelligemment. Elle avait préparé le terrain en vue d’une audience générale. Un employé ayant accusé la direction « de publier cette œuvre juste pour faire de l’argent », elle lui a répondu qu’effectivement c’était le but de la société et aussi le moyen de payer son salaire… Plusieurs ont réagi en disant qu’ils n’étaient pas à l’aise à l’idée de travailler pour un éditeur qui publiait une telle œuvre. On leur a répondu que chacun était libre de démissionner et même qu’une offre très généreuse de départ volontaire était proposée… Sur 70 combattants acharnés de la bien-pensance, seulement cinq auraient accepté l’offre de départ.
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