Bible à l'école : l'instit réhabilité par la Justice
Éducation

Bible à l'école : l'instit réhabilité par la Justice

Par Louis Daufresne - Publié le 06/01/2021
En octobre 2019, LSDJ (n°794) s’était fait l’écho de cette histoire de fou, celle de « l’instit de Malicornay », du nom de ce village de l’Indre où enseigne Matthieu Faucher, 39 ans à l’époque. Bien avant le climat de délation installé par le Covid, une lettre anonyme de parents d’élèves avait fait basculer sa vie et sa carrière. On l’avait accusé de faire du prosélytisme religieux, quoiqu’il fût agnostique et pas catho-friendly. L’Éducation nationale le fit illico monter sur le bûcher de ses vanités laïcistes : faute professionnelle, suspension immédiate, mutation, etc. Il fallait en faire un exemple pour que ses pairs n’eussent pas l’idée de copier ses méthodes.

Diable, qu’avait-il donc fait ?

Au retour de la Toussaint 2016, Matthieu Faucher fournit à ses CM1-CM2 un document intitulé « le christianisme par les textes, étude historique et littéraire d’extraits bibliques ». En janvier 2017, il s’en sert comme support de cours à raison de dix séances pour un total de sept heures d’enseignement, ce qui n’est pas la mer Rouge à boire. L’instit conçoit deux dictées à partir d’extraits, l’un de la Bible, l’autre de Lohengrin où il est fait référence au jugement de Dieu. Les cahiers de littérature et de poésie se lestent de dix pages tirées du livre de l’Exode. Et pour aggraver son cas, l’enseignant projette l’Évangile selon saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini et Le Prince d’Égypte, dessin animé inspiré du livre de l’Exode.

Bref, pour tout ça, Matthieu Faucher sent le fagot. Un fort vent de haine souffle sur les braises – sans doute poussé par quelques inimitiés fraternelles. Toute la hiérarchie communie au sacrifice : le directeur académique de l’Indre prend la sanction disciplinaire, le rectorat d’Orléans-Tours la ratifie et le cabinet de Jean-Michel Blanquer lâche ses cavaliers de l’apocalypse.

Qu’est-il advenu au bout du compte ?

L’incendie s’éteint piteusement, rincé par le jugement – non pas de Dieu – mais de la cour administrative d’appel de Bordeaux. Son arrêt du 17 décembre annule la décision du tribunal de Limoges de juillet 2019. En première instance, le juge avait simplement estimé que la sanction était disproportionnée. Ne s’estimant en rien coupable d’un manquement à son obligation de neutralité, l'instit tenait à sa réhabilitation au fond. Cela tombait bien, l'Éducation nationale fit appel. Manque de pot pour la rue de Grenelle, le juge bordelais donna raison à Matthieu Faucher sur toute la ligne. L’arrêt parle d’une « erreur manifeste d’appréciation », annule toute sanction et oblige le ministère à réintégrer à son poste « l’instit de Malicornay ». L'enseignant réfléchit avec sa hiérarchie à ce que son retour se fasse au mieux.

Une précision : ni lui ni le ministère ne contestaient les faits, lesquels étaient établis dès 2017 par l’enquête administrative. Dans ce conflit, tout n’est question que d’interprétation. Pourquoi l’Éducation nationale choisit-elle la posture la plus sectaire en s’opposant à ce que disait son ministre à la même période ? Le 10 mars 2018, la Dépêche du Midi publiait un entretien croisé avec Gérard Collomb, alors ministre de l’Intérieur. Jean-Michel Blanquer y promouvait l’enseignement du fait religieux : « Nous devons donner à nos enfants des racines et des ailes. Ils doivent savoir d'où ils viennent et où ils vont. Quand vous faites une visite dans une cathédrale aujourd'hui, souvent des enfants ignorent tout des codes qui permettent de comprendre l'endroit où ils sont. De la même façon, il y a des interprétations complètement sauvages des différents textes sacrés. Cette ignorance est un vecteur d'intolérance, d'incompréhension, d'absurdité. Cela génère de l'obscurantisme. On a besoin d'une culture générale sur les religions. D'où l'intérêt de l'enseignement laïc du fait religieux. » Ces lignes, Matthieu Faucher les avait fait siennes mais au même moment, sa hiérarchie le poursuivait d’un zèle inquisiteur…

Est-ce l’assassinat de Samuel Paty qui empêche Jean-Michel Blanquer d’avoir une parole pour l'enseignant lésé, comme s'il ne fallait surtout pas exposer les professeurs au risque du fait religieux ? Pas sûr. Il n’y a aucun rapport entre les deux affaires : à Conflans, les parents d’élèves s’étaient montrés intrusifs et la hiérarchie avait « lâché » son agent. À Malicornay, c’est le contraire : les parents soutenaient l’instit et la hiérarchie voulait le déboulonner. Sur le fond, même divergence : Samuel Paty parlait de liberté d’expression, Matthieu Faucher de culture biblico-chrétienne. Aujourd'hui, il dit « attendre des directives sur l’enseignement du fait religieux ». Le silence signifierait que l’Éducation nationale aurait gagné sur le terrain de la peur. Car sans parole claire de Jean-Michel Blanquer, quel enseignant se risquera à vivre la même épreuve que Matthieu Faucher ? Même si à l’arrivée, David triomphe de Goliath. Un texte que l'instit peut d'ailleurs ajouter à son programme de culture biblique, si jamais il le reprend, ce qui n'est pas sûr.
La sélection
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Toulouse. G. Collomb et J.M. Blanquer : « Vive l'autorité républicaine ! »
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