Attentats de 2015 : un rescapé témoigne
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Attentats de 2015 : un rescapé témoigne

Par Louis Daufresne - Publié le 02/09/2020
Si les morts ne parlent plus, souvent les rescapés se taisent. Le fil qui les retient à la vie est comme distendu et celle-ci, au lieu de les raviver par son souffle, les écrase de tout son poids. Le procès des attentats de 2015 vient de s’ouvrir aujourd’hui à Paris. On y juge les complices des frères Chérif et Saïd Kouachi ainsi que d’Amedy Coulibaly. Les ex-otages se repassent le film en boucle.

Yohann Derai est l’un des rescapés de l’Hyper Cacher. Marié et père de quatre enfants, cet homme de 43 ans aujourd'hui a cette affabilité si typique des juifs d’Afrique du nord et des habitants de Belleville, quartier mélangé de Paris où il se rappelle sa jeunesse heureuse. Ado, Yohann est même arrêté par la police pour quelques tags… Des jeunes comme Coulibaly, il en fréquente alors tous les jours et, selon lui, « à l'époque, ça se passait bien ». En 2015, c’est une personne installée. Commercial dans une société de chauffage, il arpente le bitume pour aller « chauffer » ses équipes. Mais ce 9 janvier, il décompresse. Le voilà qui fait route vers les Alpes. Avec son ami Rudy, sa voiture s’apprête à quitter la capitale. Mais auparavant Yohann veut acheter une bonne bouteille. Les deux amis s’arrêtent avenue de la Porte-de-Vincennes. Juif non pratiquant, c’est la première fois que Johann entre dans une supérette casher. Alors qu’il scrute les étiquettes, Rudy aperçoit un canon de Kalachnikov à l’autre bout du rayon. Il comprend ce qui se passe, alors que Yohann, le nez dans les crus, met quelques secondes à réaliser. Rudy connaissait l’endroit. Avant l’hyper casher, on y vendait des autoradios et il y était employé. Il sait où se trouve l’issue de secours. Rudy invite tout un petit groupe à le suivre. Il y a une mère et son bébé. Les voilà qui s’y précipitent et quand ils se voient déjà tirés d’affaire, ils tombent sur la porte qui est… verrouillée. Les supérettes condamnent souvent les entrées qu’elles ne surveillent pas, afin d’empêcher les vols…

Condamner, le mot n’est pas trop fort. Mais Rudy ne se démonte pas. Il sait qu’au sous-sol, il y a des chambres froides. Ce frigo sera-t-il une morgue ? Yohann le chauffagiste va passer quatre heures dans ce frigo, les plus longues de sa vie. Cinq autres personnes sont là, d’autres encore se cachent comme elles le peuvent dans des recoins du sous-sol. Le froid avoisine les –20° C. Comment le bébé va-t-il tenir ? Yohann le couvre de sa doudoune, arrache les fils électriques et laisse la porte légèrement entrouverte. Le plafond gelé fond peu à peu en dégoulinant. Coulibaly se doute qu’il y a des gens en bas. Le terroriste ordonne à une caissière qu’on les fasse monter. Penchée dans l’escalier, elle les appelle. Yohann refuse de bouger et ce qu’il dit témoigne de sa présence d’esprit : « Si Coulibaly demande à quelqu’un de venir nous chercher, c’est qu’il ne peut descendre lui-même. » Le terroriste est donc seul et ne peut abandonner les otages qui se trouvent avec lui. Il y en a sept. Quand la caissière revient pour leur dire encore de monter – sinon Coulibaly tuera tout le monde – une dizaine de personnes obtempère alors. Mais pas Yohann.

Il se dit plusieurs choses : si Coulibaly veut sa peau, qu’il vienne lui-même ; il ne se livrera pas. Corpulent, il craint aussi que s’il monte, il devienne une cible plus naturelle que ne l’est une silhouette plus passe-partout. Ensuite, il redoute de croiser son regard. Qui sait ce que le terroriste peut faire à ce moment-là ? Puis il ajoute : « Quand on est papa, on ne veut pas jouer au héros ; on réfléchit aux conséquences. » Monter, pour quoi faire ? D’autres vont y aller. Comme Yoav Hattab, juif tunisien de 21 ans venu étudier à Paris. Yohann essaie de l’en dissuader mais le jeune s’y résout. Il se dit que peut-être, il pourra empêcher un carnage. Il sera sa quatrième victime. Yoav apercevra un fusil d’assaut sur une palette, s’en saisira sans savoir que si l’arme se trouvait-là, c’est qu’elle ne fonctionnait pas… Yohann dédiera son livre à sa mémoire (Hyper caché, éditions du Moment, 2016).

Grâce à son vieux téléphone (son Iphone n’a plus de batterie…), Yohann sera prévenu de l’assaut par les forces de police. À aucun moment, il ne voudra appeler sa famille, pour ne pas devoir lui dire adieu. Peu après 17h00, les hommes du RAID pénétreront dans la chambre froide, fixeront le petit groupe de leurs fusils à pointeurs laser. Ultime frayeur. Un complice pourrait se cacher au milieu d’eux, pensent les superflics. Les otages sont finalement libérés. Mais cinq ans après, la peur envahit toujours le sous-sol de leur mémoire.
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Attentats de 2015 : un rescapé témoigne
Yohann Dorai, rescapé de la prise d’otage de l’hyper-cacher de Vincennes
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