Après Merkel : l'alternance dans la continuité
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Après Merkel : l'alternance dans la continuité

Par Louis Daufresne - Publié le 02/10/2021
On peut rester en couple et changer de partenaire. C’est ce qui nous arrive avec les élections allemandes. Angela Merkel s’en va après 16 ans de règne et quatre mandats successifs : 2005, 2009, 2013 et 2017. N’en déplaise aux adversaires du quinquennat, l’Allemagne prouve que la courte durée n’est pas un obstacle à la stabilité. Merkel aura connu Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron. Quoique monarchique, notre république indivisible se fractionne en souverains jetables, quand le régime fédéral et parlementaire d'outre-Rhin élit un chancelier inoxydable. Le charisme d’Angela n’y était pour rien, son style vestimentaire non plus. Nos cousins germains ne regardent que la compétence et la fiabilité (die Zuverlässigkeit). C'est aussi le meilleur argument de vente de leur industrie. En 2020, l'excédent commercial allemand atteignait 228 milliards d'euros quand notre déficit accusait les 82 milliards...

À l'aube de son règne, Merkel profita du scandale des caisses noires de la CDU. Son mentor Helmut Kohl, chancelier de la réunification, l’appelait « la jeune fille ». Elle le trahit pour prendre les rênes de l'Union chrétienne-démocrate. Puis elle marginalisa ses concurrents masculins et le 18 septembre 2005, la débutante battit sur le fil le chancelier sortant SPD Gerhard Schröder.

Comme une Mercedes, Merkel ne devait pas subir l’usure du temps. Ses crises de tremblements la fragilisèrent mais le Covid-19 la ressuscita. Préférant le didactisme au lyrisme, la scientifique de formation réalisa un quasi sans-faute. Selon l'institut Pew, Merkel jouit à l'international d'une cote de confiance de 72 %. Les trois quarts des Allemands se disent satisfaits de son action.

Pourtant, la chancelière ne suivit pas toujours la même ligne. Le merkélisme conjugue la mollesse visionnaire à un pragmatisme dur :

Championne de l'austérité européenne après la crise financière de 2008, au risque d'asphyxier la Grèce, elle se mit à profaner le dogme de l’orthodoxie financière quand elle se convertit il y a un an et demi à la relance budgétaire et à la mutualisation de dettes, seules à même selon elle de sauver le projet de l’UE.

En 2011, Fukushima la convainquit en quelques jours d'enclencher le retrait progressif de l'énergie nucléaire, au profit du charbon.

À l'automne 2015, sans consulter ses partenaires européens, elle ouvrit son pays à des centaines de milliers de demandeurs d'asile syriens et irakiens et promit de les intégrer. « Nous y arriverons ! », assura-t-elle. Sans doute sa phrase la plus marquante jamais prononcée par la chancelière, si rétive aux discours enflammés. Son état expliquerait-il sa générosité tardive ? À 67 ans, celle que les Allemands appellent Mutti (« maman ») est une femme sans enfant, malgré deux mariages...

Les « valeurs chrétiennes » lui servirent de justification. Son père pasteur luthérien était parti vivre avec toute sa famille en Allemagne de l'Est pour prêcher l'évangile en terre communiste. Elle grandit au nord de Berlin, à Templin, où sont enterrés ses parents. Le syndrome du Mur la poussa-t-elle à ouvrir grand les bras à l’étranger ? En tout cas, son choix rompit la règle du consensus si caractéristique de l’Allemagne post-hitlérienne. La peur de l'islam détourna une partie de la CDU vers l’AfD. En 2017, l’Alternative pour l’Allemagne, classée à l'extrême-droite, envoya 94 députés au Bundestag ! Ce parti en a 83 aujourd’hui. L’AfD pâtit d’une campagne polarisée par la succession de Merkel.

La chancelière apparut comme une sorte d’arbitre entre deux héritiers, le candidat CDU/CSU, le truculent Armin Laschet, et l’austère Olaf Scholz (SPD), son ministre des Finances et vice-chancelier de la coalition sortante. Jugés moribonds, les sociaux-démocrates furent eux aussi sauvés par le Covid et la politique du chéquier. Sans éclat, le grand argentier Scholz (25,7 %) devança Laschet (24,07 %), plombé par ses bourdes à répétition frisant le comique troupier.

Comparé à la France, ces deux résultats illustrent encore la vigueur des grandes formations centristes. Néanmoins, SPD comme CDU sont faiblards. Les tractations pour une coalition placent le futur chancelier en situation d’otage des « faiseurs de roi », les libéraux du FDP et les Verts. Dans les sondages, la candidate des Grünen, Annalena Baerbock, était un temps pressentie à la chancellerie. Mais les électeurs ne lui pardonnèrent pas ses primes défiscalisées non déclarées au Bundestag, son CV gonflé et les passages plagiés d'un livre programmatique. L’Allemagne, forte de sa diplomatie commerciale, veut des pointures capables de parler à Poutine ou à Xi Jinping, d’imposer le gazoduc North Stream 2 aux Américains. Dans ce rôle, les Verts manquent de fiabilité.

Dans un pays de rentiers où 22 % de la population a plus de 65 ans, Scholz, s’il devient chancelier, risque d’être inflexible avec la France, sur l’endettement européen, l’énergie ou la Défense. Sur ce dernier dossier, Berlin pourrait quand même se rapprocher de Paris, si le parapluie US devenait de plus en plus une ombrelle asiatique.

La victoire du SPD n’est pas celle de la gauche mais de la continuité et du pragmatisme économique.
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