Alors, l'islamo-gauchisme, scientifique ou pas ?
Éducation

Alors, l'islamo-gauchisme, scientifique ou pas ?

Par Michel Saint-Marc - Publié le 25/02/2021
Depuis plusieurs jours, les médias se font l'écho d'un débat dans lequel maintenant, comme le mentionne Le Monde du 22 janvier, le président Macron est « empêtré ». De quoi s'agit-il ?

La ministre de l'enseignement supérieur Frédérique Vidal, jusque-là discrète, s'est permis de demander une enquête au CNRS sur l'introduction dans la recherche et les enseignements universitaires d'un islamo-gauchisme de plus en plus présent, sorte, pour elle, de complaisance d'une gauche radicale avec l'Islam au détriment des principes républicains. De ce fait, elle pointe du doigt une recherche universitaire non scientifique. Qu'en est-il ?

Les sciences expérimentales (physico-mathématiques) ou humaines partent de faits observables. La recherche prend en compte ces faits pour en chercher les raisons et formuler des hypothèses qui peuvent devenir des théories. Cela est vrai dans toute science moderne. Les sciences humaines et sociales quant à elles se fondent sur les discours ou les représentations que les individus ou les sociétés formulent, à travers la littérature, les arts, la culture, etc. Le terme islamo-gauchisme a été introduit de manière tout à fait officielle en 2002 par Pierre-André Taguieff (du CNRS) qui persiste et signe par une série d'interview dans Marianne de cette semaine. C'est donc bien un sujet d'étude scientifique. On en parle, on étudie ce dont on parle.

De son côté, l'universitaire Eric Fassin défend cette liberté de recherche, et, membre important et influent de ce courant, revendique le droit de lire les faits à la lumière d'une méthode marxiste de lutte des classes, transposée ici en lutte des colonisateurs et des colonisés. Sur le plan des principes méthodologiques, on ne peut que lui donner raison. Les chercheurs doivent formuler des hypothèses et la liberté académique est à ce prix.

Cependant, le problème est-il bien là où on le dit ?

En réalité, en France surtout, la liberté de recherche n'existe pas pour deux raisons principales.

La première est que le monopole de l'État s'étend surtout dans ce domaine vital pour tout le système éducatif. Deux chiffres : 0% d'écoles doctorales privées, ou libres, pour 2% d'enseignement libre universitaire niveau licence ou, plus rare, master. Si on dénombre environ 17% d'établissement privés secondaires et en partie supérieurs (prépas et techniques essentiellement), la recherche est entièrement occupée par les organismes (CNRS, EHESS, etc) et universités publiques. La liberté de recherche entre écoles doctorales indépendantes ne peut donc exister réellement. Au mieux, au sein de l'université publique. Mais, compte tenu du système de nominations et promotions, cette liberté est très réduite car les cooptations font en sorte que les chercheurs passent par les fourches caudines des autorités académiques qui sont à l'origine de leur nomination et de leur carrière au sein d'une même fonction publique.

La deuxième raison, que l'on a vu se développer à l'occasion de la crise sanitaire dans le milieu médical, est le recours de plus en plus important au "consensus" au sein de la communauté universitaire. Or on sait, tout chercheur digne de ce nom l'apprend, que justement la recherche avance quand on formule des hypothèses hors des sentiers battus et dans la confrontation des idées et théories dominantes. La "communauté", essentiellement formée par les publications scientifiques internationales ou nationales évaluées par les pairs, donc auto évaluée, dicte des principes que tout chercheur doit suivre pour être publié... Sans parler des financements qui sont en fait le vrai nerf de la compétition universitaire.

La ministre est donc à la tête d'un organisme étatique qui par le fait même empêche une véritable liberté de recherche. Demander cette enquête à un organisme comme le CNRS est paradoxal. C'est l'ensemble de l'organisation qu'il faut revoir, ou, plus exactement, qu'il faut refonder pour une authentique recherche universitaire digne de ce nom. Resterait le problème de la médiatisation de la recherche, mais, c'est un autre sujet. Recherche libre et médias libres vont de pair.
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