50 ans de « discrimination positive » en Malaisie
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50 ans de « discrimination positive » en Malaisie

Par Ludovic Lavaucelle - Publié le 01/06/2021
En 1971, le jeune État malaisien promulguait la NEP (New Economic Policy). Cette politique de « discrimination positive », suivant le modèle conceptualisé par l’Amérique des Droits Civiques pendant la décennie précédente, visait deux objectifs. En premier lieu, il s’agissait d’éradiquer la pauvreté dans un pays qui peinait à se débarrasser de l’héritage colonial britannique. En second lieu, le gouvernement de l’époque visait plus haut en cherchant à faire de « l’ingénierie sociale » : il fallait assurer une représentation des principales ethnies dans la société malaisienne. James Chin, professeur en sciences politiques d’origine malaisienne à l’Université de Tasmanie (Australie), rappelle la genèse, les conséquences, et les leçons à tirer de cette longue expérience (article en lien ci-dessous paru dans The Tablet).

Plantons rapidement le décor et le contexte historique. La Malaisie est un pays d’Asie du Sud-Est de 33 millions d’habitants, situé au sud de la Thaïlande et au nord de l’Indonésie. Sa population est composée de 60% de Malais (musulmans), de 25% de Chinois, de 7% d’Indiens. Cette composition raciale vient de la période coloniale pendant laquelle les Britanniques ont importé de la main-d’œuvre chinoise (par ex. pour les mines) et indienne (pour les plantations surtout).

Après l’indépendance en 1957, les premières années ont été difficiles à cause d’une féroce guérilla communiste soutenue par la Chine. En 1969, de graves émeutes raciales ont opposé Malais et Chinois, causant plusieurs milliers de morts dans le pays. L’état d’urgence était encore imposé. Après l’indépendance, le gouvernement a jugé que la racine des violences se trouvait dans l’inégalité économique entre Malais majoritaires et les minorités. Les premiers ne contrôlaient que 2,4% de l’activité économique hors agriculture, contre 34% pour les seuls Chinois, le reste étant toujours dans des mains étrangères.

La NEP malaisienne a bénéficié tout d’abord d’un large soutien populaire. Le consensus était qu’il fallait permettre à toutes les communautés de participer à l’activité économique du pays pour « vivre ensemble ». On voulait tourner la page de l’époque coloniale et corriger des inégalités historiques. Des quotas furent imposés exigeant une représentation minimale de 30% de Malais dans le privé comme dans le public.

Mais la NEP, voulue comme un outil de redistribution pragmatique, s’est rapidement transformée en monstre incontrôlable. Loin d’aplanir les différences, les Malais sont devenus de plus en plus vindicatifs pendant les années 70. Les élites malaises, choyées jadis par le colonisateur, ont voulu aller plus loin et transformer la Malaisie en « État Malais ». Des milliards ont été dépensés au profit du groupe majoritaire par le biais de nouveaux programmes s’appuyant sur la NEP. Les Malais ont eu droit à des crédits immobiliers à taux réduits. Les contrats publics ont été réservés aux entreprises gérées par des Malais. Les bourses universitaires ont été versées en priorité aux étudiants de l’ethnie majoritaire. La « suprématie malaise » a été justifiée par la réécriture de l’histoire du pays qui présentait les Malais comme les « bumiputera » (« fils du sol ») et tous les autres comme des « invités ».

On pouvait penser que les Malais seraient enfin satisfaits, d’autant que le transfert de richesses s’était même accéléré pendant la décennie 80-90. En fait, pas du tout ! L’économie réelle a transformé la NEP en échec :

a) De nombreux Malais ayant bénéficié de parts d’entreprises ou de licences ont revendu leurs actifs à des non-Malais pour un profit immédiat.

b) Les mêmes ou d’autres sont devenus totalement dépendants économiquement de ce système aisément corruptible.

c) Les non Malais voulant obtenir des contrats publics ont créé des joint-ventures avec des partenaires malais détenant la majorité des parts. Or ce sont les premiers qui gèrent les affaires, là encore en contradiction avec le but de la NEP.

Quelles conséquences tirer de cette politique encore en vigueur ?

a) Les principaux bénéficiaires ont été les privilégiés parmi la majorité malaise.

b) La corruption s’est enracinée. Le parti majoritaire malais (UMNO) attend des bénéficiaires du NEP des donations et refuse toute réforme du NEP.

c) L’islamisme a gagné du terrain dans les années 80 en prenant appui sur le discours de la « suprématie malaise ».

d) La division raciale n’a fait que s’accroitre. Les meilleurs étudiants non malais ont fui le pays.

La NEP, qui pouvait se justifier sur du court-terme et pour des catégories de personnes précises, est devenu un outil au service d’une idéologie « racialiste ». Elle a transformé une partie des Malais en rentiers dépendants. Elle a aigri les Malais pauvres des campagnes faisant le lit de l’Islam radical. Elle a chassé des talents qui lui manquent déjà pour construire un pays qui ressemblerait un peu plus au slogan gouvernemental du « 1 Malaysia ».
La sélection
50 ans de « discrimination positive » en Malaisie
The Affirmative Action at 50 in Malaysia
The Tablet
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